L’impact du vieillissement sur la vue : un médecin gériatre nous aide à y voir plus clair
À l’occasion de la journée nationale de la gérontologie, nous nous sommes intéressés aux liens étroits entre le vieillissement et la vue. Pour cela, nous sommes allés à la rencontre d’un expert sur le sujet, docteur Anthony Mézière, chef de service du département de médecine gériatrique de l’hôpital Corentin Celton de Paris (APHP), qui a gentiment accepté de répondre à nos questions.
Pouvez-vous nous expliquer comment le processus de vieillissement affecte la vision chez les personnes âgées. Quelles sont les mesures préventives à mettre en place pour conserver un confort visuel ?
Le vieillissement physiologique occasionne des changements significatifs sur la vue des seniors. Le cristallin, lentille de l’œil qui permet l’accommodation, vieillit et devient plus rigide, rendant la mise au point en vision de près plus difficile. C’est ce qu’on appelle la presbytie, qui se manifeste généralement à partir de 45 ans. A ce stade, l’utilisation de lunettes correctrices devient nécessaire pour la lecture et la vision de près.
La presbytie n’est pas le seul défaut visuel qui peut apparaitre au cours de la vie.
Découvrez les autres dans cet article.
Chez les personnes plus âgées, la vision nocturne s’affaiblit également, le cristallin devenant moins transparent, laissant ainsi passer moins de lumière.
Le jaunissement du cristallin peut par ailleurs modifier la perception des couleurs et des contrastes. Les seniors peuvent ainsi avoir du mal à distinguer certaines nuances, et à percevoir des détails dans des environnements peu éclairés.
À l’inverse, il faut aussi faire attention aux conditions d’éclairages extrêmes, car la pupille – orifice circulaire noir au centre de l’œil permettant de laisser passer plus ou moins la lumière – devient moins réactive en vieillissant. En conséquence, les seniors auront tendance à être éblouis en cas de lumière intense.
D’autre part, avec l’âge, les glandes lacrymales sécrètent moins de larmes, entraînant fréquemment une sécheresse oculaire. Les yeux peuvent alors être irrités, rouges et qui avoir une sensation de démangeaison ou de picotements. Heureusement, il existe des solutions, comme les gels de substitut lacrymal, qui visent à remplacer les larmes naturelles.
Enfin, le vieillissement neurologique de l’œil entraîne une moins bonne perception des profondeurs et des distances.. Les seniors peuvent ainsi avoir des difficultés à se repérer dans leur environnement de vie, nécessitant des adaptations pour tenir compte de ces modifications de la perception spatiale.
En résumé, avec l’avancée en âge, pour continuer à bien voir et vivre dans de bonnes conditions, il est recommandé de suivre ces 4 conseils :
- Privilégier les endroits éclairés pour la lecture, l’écriture et toute activité manuelle nécessitant de voir de près (couture, broderie, mots croisés…)
- Éviter les conditions d’éclairage intenses, facteurs d’éblouissement et d’inconfort
- Réaliser une hygiène minutieuse des paupières par l’application de compresses chaudes ou bien un nettoyage appliqué du bord des paupières à l’aide d’un produit stérile adapté.
- Adapter son logement pour faciliter l’évaluation des distances (éclairage automatique, chemin lumineux, installation de barres d’appui…)
Malgré ces mesures de prévention, lorsque la vue baisse avec l’âge, quels sont les impacts sur la vie quotidienne des personnes âgées ?
Une mauvaise vision a des conséquences concrètes sur le quotidien du patient et sur sa capacité à “bien vieillir”, en toute autonomie. Les deux principaux effets collatéraux d’une perte de la vue sont l’augmentation du risque de démence et l’accroissement du risque de chute.
Il existe en effet un lien établi entre la santé visuelle et la santé cognitive : une mauvaise vision peut entraîner des troubles cognitifs, voire des démences telles que la maladie d’Alzheimer.
De plus, la vue est l’un des principaux facteurs de chute. D’après le plan anti-chute présenté par le Ministère des Solidarités et de la Santé en février 2022, elle en était d’ailleurs l’un des 5 signes “avant-chuteur”.
Ainsi, garder une bonne vision le plus longtemps possible assure un vieillissement réussi, en permettant de maintenir une autonomie à la fois physique et intellectuelle.
Quels sont les liens entre vieillissement de la vue et pathologies oculaires ?
Aux changements physiologiques que j’ai décris plus haut (vieillissement du cristallin ou de la pupille, sécheresse oculaire…), s’ajoutent également des maladies de la vision qui touchent préférentiellement les seniors et qui entraînent des répercussions fortes en termes d’autonomie à la fois motrice et cognitive.
Apprenez-en plus sur les différentes pathologies oculaires en lisant notre article sur le sujet.
La cataracte, correspondant à une opacification du cristallin, aboutit progressivement à une vision floue, des couleurs perçues comme ternies et une vision de nuit altérée. Quand la cataracte est « mûre » selon l’ophtalmologue, il faut opérer. Il s’agit d’une chirurgie réalisée en ambulatoire, de routine désormais, qui permet de retrouver une vision améliorée rapidement.
La rétine, en sa partie centrale appelée la macula, peut également être touchée par une maladie la détruisant et ainsi affectant la vision centrale. Il s’agit de la dégénérescence maculaire liée à l’âge, désormais plus connue sous le terme de DMLA. Elle est la première cause de cécité en France. Cette maladie très fréquente chez les seniors et entraîne une déformation des lignes droites qui ondulent, ou encore un aspect déformé des images, et aboutit à une baisse jusqu’à une perte totale de la vision centrale. Son dépistage chez le senior est indispensable et nécessite une consultation auprès de l’ophtalmologue qui définira le type de DMLA et le traitement associé.
Autre maladie responsable de cécité (deuxième cause en France) : le glaucome. C’est une maladie qui endommage le nerf optique. Cependant, elle reste longtemps asymptomatique et nécessite donc un dépistage chez l’ophtalmologue. Le glaucome aboutira chez le senior à une vision dite « tubulaire », avec une vision centrale bonne alors que la vision en périphérie est altérée.
Enfin, les personnes âgées sont davantage touchées par le décollement de rétine, urgence ophtalmologique se traduisant par une perte soudaine et brutale de la vision correspondant à la zone décollée. Dans cette situation, l’adressage aux urgences est nécessaire et permettra également de différencier un décollement de rétine d’un AVC, tout aussi grave.
Pour finir, le diabète est une maladie fréquente chez les seniors, qui affecte l’œil. La rétinopathie diabétique a différentes conséquences sur la vision, qu’il convient de dépister et de suivre régulièrement auprès de l’ophtalmologue dès que le diabète est diagnostiqué et ensuite tout au long de l’évolution de cette maladie chronique. L’équilibration du diabète et des traitements oculaires permettent de traiter cette maladie.
En tant qu’aidant ou professionnel de santé, comment peut-on reconnaître les signes précurseurs de problèmes de vue chez une personne âgée, et à quel moment est-il recommandé de consulter un spécialiste ?
La qualité du vieillissement dépend en partie de la qualité de vue du senior. Bien voir est ainsi garant de bien vieillir dans son corps comme dans sa tête. En étant le proche d’une personne âgée ou un professionnel de santé en charge de seniors, une vigilance accrue sur ce sujet est nécessaire pour dépister au plus tôt ces anomalies de la vision et orienter au mieux les patients âgés. Par mesure préventive, un suivi annuel est conseillé chez le médecin ophtalmologiste.
Voici d’ailleurs quelques signes précurseurs du vieillissement de la vue, à surveiller, en plus de ces 5 signes d’alertes :
- Difficulté à voir dans la pénombre
- Changement des contrastes et des couleurs
- Éblouissement en cas de lumière intense
- Yeux secs et irrités
- Mauvaise perception des distances et des profondeurs